Habitant emblématique de Chaudes-Aigues doublé d’un ambassadeur attachant du village, Paul Plagne nous raconte la commune à sa façon.
Lorsque vous approfondissez la discussion avec quelques Caldagués de naissance ou presque, vous vous apercevez vite que le Festival du Tatouage possède chez eux une certaine aura, voire une aura certaine. Chaque fois, le lien se renoue avec l’ancien temps, celui qui pour eux se définit comme le « bon temps » d’une jeunesse où les souvenirs se mêlent à une mémoire souvent oublieuse qui enjolive les faits. Mais toujours avec une sincérité non feinte. Alors nous avons voulu aller plus loin dans l’anamnèse. Avons rencontré Marguerite, Renée, Jean-Claude et Marinette.
Pour Marguerite, l’anecdote la plus personnelle reste un certain dimanche 6 mai 1951 où sur la place du marché se déroulait une coupe de la joie avec la neige pour invitée surprise. Elle se tachait du noir des soutanes sacerdotales. Ces rassemblements, essentiellement orchestrés par l’Église catholique, se voulaient des concours culturels et sportifs organisés sur l’ensemble de la France dans les années 1950. La Seconde Guerre mondiale encore dans toutes les têtes, ces manifestations participaient du dynamisme lié à la reconstruction et modernisation du pays. Ce premier souvenir personnel lui reste en mémoire à cause d’un décès dans sa famille. Pour tous, le plus grandiose événementiel demeurera à jamais la présence de monseigneur Marty au centenaire du couronnement de Notre-Dame-de-Pitié le 16 septembre 1979. Les rues noires de monde, « les processions magnifiques. » Les quartiers avaient hissé des arcs de triomphe, toute la ville était fleurie, décorée. Pour Renée Rouzaire et Marguerite Miquel, la venue de l’homme d’Église, originaire de l’Aveyron, reste prégnante. Il avait été de 1952 à 1959 évêque de Saint-Flour. Il avait confirmé nombre de jeunes Caldagués et laissé un bon souvenir. C’était comme un enfant du pays qui, après avoir réussi, revenait dans Chaudes-Aigues décoré en blanc et bleu. Renée, elle, garde aussi en tête un carnaval organisé par Pierre Niel auquel son mari avait participé en jouant de l’accordéon. Le lendemain, ils étaient partis en course à Grasse, Nono senior pour emmener une cliente. Pierre Niel avait suivi pour rencontrer des amis et effectuer quelques affaires dans la région. Le covoiturage avant l’heure. Renée ne sait pas bien pourquoi cet événement l’a marquée. Jean-Claude quant à lui possède un souvenir personnel indélébile : « J’avais une dizaine d’années et la caravane de “la tournée Suze” dont une partie du spectacle était réservée aux adultes. Nous les mômes en étions exclus. J’ai trouvé la parade en passant sous la bâche du camion et j’ai pu voir une jolie fille qui faisait téter un biberon de Suze à un monsieur de Chaudes-Aigues. Je vous laisse imaginer le reste. Mon grand-père m’a sorti de là à coups de casquette. » L’identité de l’homme ? Par charité chrétienne pour sa descendance, il préfère en taire le nom.
Quant à l’événement qui l’a subjugué, ce sont les fêtes d’été sur la place du gravier et les tours de manège gratuits qu’il a effectués sur les chenilles. Il résidait de l’autre côté du Remontalou, et le patron le laissait grimper sur le « tourniquet » en dehors des heures d’affluence. « Je suis resté jusqu’à quatre heures sans en descendre. C’était un vrai bonheur. » Marinette, pure Caldagués, habitait le café Costeroste et elle se souvient, probablement en 1956, un hiver particulièrement froid, des tranchées pour le passage des égouts. Pour rentrer chez elle à dix ans, elle devait marcher sur des planches disjointes et bancales, peu rassurée. Quant à son événementiel, il reste et demeure les fêtes de Saint-Jean, le quartier auquel elle appartenait. Après la messe, la procession et la distribution du pain bénit, le religieux cédait la place au païen à travers un défilé où tout le monde se déguisait. L’espace d’une soirée, le secteur devenait la commune libre de Saint-Jean et la foule attendait le discours du Maire qui valait son pesant d’ironie.
Plusieurs décennies plus tard, même si l’une comme l’autre regrette ces temps immémoriaux où « l’on s’amusait mieux qu’aujourd’hui », ils s’accordent pour admettre qu’en quatre années, le Festival du Tatouage de Stéphane Chaudesaigues est devenu une quasi-institution qui attire 10 000 personnes et « fait bouger le village, remue, voire réveille la population ». Bien sûr, ils reconnaissent que tout le monde n’est pas pour, mais peu importe. Et de fustiger quelques-uns pour leur amabilité envers l’organisateur. Marguerite et Renée regrettent que le cœur du bourg ne prenne part à rien, que tout se tienne à l’Enclos. Mais comprennent que le succès financier de la manifestation doit pouvoir concentrer les participants afin de leur offrir le meilleur. Stéphane l’a promis cette année : on verra du monde sur la place du marché. « On avait tous peur de trouver de la racaille envahir le pays, c’est tout le contraire qui s’est passé » affirme Marguerite et Jean-Claude d’ajouter « quand on connaît le prix d’un tattoo... ». Le couple Costeroste admire le talent des tatoueurs, mais vient surtout pour les concerts, notamment les formations de rockabilly et leurs solos de guitare. « L’an dernier, nous avions apprécié quelques groupes lorsque Stéphane nous a annoncé le passage au hard rock. Pour nous, c’était l’inconnu. Eh bien contrairement à ce que vous pourriez croire, nous avons beaucoup aimé. » Une découverte !