Mais que se passe-t-il à Pain, Vin, Fromages ? Pourquoi les travaux de notre restaurant à Chaudes-Aigues n’ont-ils pas encore été achevés ? Au détour des rues de notre petit village du Cantal, la question nous est fréquemment posée, à mon épouse Cécile et à moi-même. Et elle méritait bien une réponse en bonne et due forme.
Une obtention chaotique du permis de construire
En 2017, il y avait déjà de l’électricité dans l’air concernant le chantier Pain, Vin, Fromages : ayant appris que le réseau électrique du village étant surchargé, pour ne pas dire totalement obsolète, on nous réclamait de payer intégralement des travaux allant du transformateur à notre restaurant afin de pouvoir obtenir la puissance nécessaire à notre nouvelle activité. Comme tout citoyen, j’étais naturellement tout disposé à payer mon abonnement et ma consommation électrique ; mais pas à financer exclusivement de ma propre poche, l’enfouissement de câbles dans une tranchée de 300 mètres.
Cet épisode n’était qu’un prologue. Comme beaucoup d’histoires semblables à celle que nous nous apprêtons à raconter, la nôtre commence avec le dépôt d’une demande de permis de construire. Ce précieux sésame est exigé dans un certain nombre de cas. D’une manière générale, il concerne les travaux de construction de grande ampleur : construction d’une maison individuelle, de ses annexes… Toutefois, il s’applique également à plusieurs autres cas : certains agrandissements, construction d’un abri de jardin... Une telle demande doit être adressée par lettre recommandée avec avis de réception ou déposée à la mairie.
Pour Pain, Vin, Fromages et les importants travaux que nécessitait son bâtiment, Cécile et moi-même nous sommes donc adressés à l’administration municipale de Chaudes-Aigues. Cette sollicitation fut loin d’être une première pour nous, puisque nous avions déjà tenté d’œuvrer en collaboration avec la mairie pour l’organisation des cinq éditions du Festival du Tatouage de la ville… avec un bonheur tout relatif. Nous avons malheureusement retrouvé les travers qui nous avaient coûté le Cantal Ink.
La décision, signée du maire René Molines, s’est inscrite dans la continuité d’années de décisions frileuses : l’élu nous refusait ce permis de construire. Parce que les travaux risquaient d’altérer le paysage caldaguès ? Parce que les nuisances inhérentes au chantier menaçaient la tranquillité de ses administrés ? Rien de tout cela. La raison invoquée – et très officiellement : pour accueillir nos futurs clients, notre parcelle d’exploitation se devait de proposer un minimum de 21 places de stationnement, comme l’exigeait la dernière version du plan local d’urbanisme.
21 places de stationnement : une vue de l’esprit pour un village comme Chaudes-Aigues
Mon épouse et moi-même crûmes à une plaisanterie : comment quiconque, décemment et pragmatiquement, dans un village aussi petit et concentré que Chaudes-Aigues, pourrait-il justifier de 21 places de parking ? Nous devions malheureusement découvrir que ce n’était pas là une première pour la municipalité : les gérants du restaurant Coin d’Aubrac s’étaient vus opposer le même motif lorsqu’ils avaient manifesté l’envie de mener des travaux dans leur établissement.
Parce que nous éprouvions le sentiment d’être injustement traités, mon épouse et moi-même avons choisi de saisir le Tribunal administratif à l’encontre de René Molines pour abus de pouvoir. Mais alors que la procédure suivait son cours est survenu un nouveau rebondissement dans l’histoire décidément mouvementée de notre restaurant de campagne.
Quand la communauté de communes prend le dessus sur la municipalité
Saint-Flour Communauté est, depuis le 1er janvier 2017, la communauté de communes à laquelle sont rattachées Saint-Flour, Neuvéglise-sur-Truyère ou encore Saint-Urcize, et Chaudes-Aigues. Or, entre notre dépôt de plainte à l’encontre du maire et l’aboutissement de ladite plainte, la délivrance de permis de construire est devenue la prérogative de cette communauté de communes. Pierre Jarlier, ancien sénateur du Cantal, maire de Saint-Flour et actuel président de Saint-Flour Communauté, est alors intervenu pour mettre à jour un plan local d’urbanisme qui, avant sa médiation, était au mieux daté, au pire ubuesque. Conclusion : grâce à la modification opérée par le conseil communautaire, nous obtînmes enfin le tant attendu permis de conduire nos travaux.
Peu enclins au zèle et trop préoccupés par notre ambitieux chantier, nous retirâmes la plainte contre M. Molines après avoir réussi à obtenir le permis de construire par le service instructeur de l’urbanisme de Saint-Flour Communauté. Grand bien nous en prit, puisque de nouveaux écueils s’apprêtaient à se mettre sur le chemin de Pain, Vin, Fromages : des plaintes déposées par des voisins d’un côté, et par les Architectes des Bâtiments de France de l’autre.
Les Architectes des Bâtiments de France, aussi connu par le sigle ABF, sont les fonctionnaires appartenant au corps des Architectes et Urbanistes de l’État ayant opté pour la section Patrimoine. Pour saisir leurs griefs, à eux ainsi qu'à certains co-villageois, il nous faut prendre un peu d’altitude : ils concernent la terrasse et la toiture de notre bâtisse. Parce que la terrasse était âgée de plus de trente ans, nous pensions être dans notre droit d’y conduire des travaux ; et parce que la toiture menaçait purement et simplement de s’effondrer, nous n’avions d’autres solutions que de la réparer.
Cécile et moi-même avons fait appel aux artisans les plus soigneux et les plus appliqués, et n’avons pas compté à la dépense pour employer des matériaux nobles et autres pierres en accord avec la nature chaudesaiguoise ; nous ressentons une profonde amertume, tant nous aurions aimé voir privilégiés le dialogue et l’échange, plutôt que des recours directs et sans sommation à la Justice. Nous pensions avoir été conseillés avec justesse, soucieux de ne jamais corrompre l’élégance de notre beau village ; force est de constater que ce ne fut pas le cas.
Aujourd’hui et à l’heure où Cécile et moi partageons ce récit, un prochain chapitre s’ouvrira à la mi-décembre 2018 : celui du dénouement au Tribunal de ce nouvel épisode. Devant la Justice, nous espérons apporter la preuve que nous avons agi en toute bonne foi, et que nous avons investi énormément de temps, d’argent et d’énergie dans un projet qui nous tient viscéralement à cœur, et que nous pensons bon pour la commune.
D’espoirs en désillusions, de joies en écœurements, cette histoire longue de plusieurs années aurait pu, Cécile et moi-même, nous pousser à reculer et à dédier nos forces à d’autres projets. Il n’en est rien. Aujourd’hui et plus que jamais, ensemble et unis, nous ferons tout pour mener le projet Pain, Vin, Fromages à son terme. Pourquoi un tel acharnement ? Parce que nous aimons Chaudes-Aigues. Point.
Notre priorité depuis plusieurs années maintenant : offrir à Chaudes-Aigues la place qu’elle mérite
Au-delà de Chaudes-Aigues, c’est tout le département du Cantal auquel nous sommes attachés. Pour lui et pour encourager une économie ralentie, nous avons tenu à investir 400 000 € – et ce n’est pas terminé – pour faire appel à des artisans locaux pour nos travaux. Pour les avoir côtoyés des mois et des mois, Cécile et moi-même sommes ressortis convaincus de leur talent et de leur savoir-faire. Avant comme après l’ouverture de Pain, Vin, Fromages, nous tenions et nous tenons à y faire travailler des personnes de la région.
Aujourd’hui, et à l’heure où une nouvelle année touche à sa fin, nous lançons un nouvel appel à certains de nos élus et de nos concitoyens. Préférons le dialogue aux attaques sournoises. Préférons l’ouverture au repli. Préférons le pragmatisme à l’affect. Préférons le bon sens à la déraison.
Mon expérience personnelle m’a amené à créer seize commerces en un peu plus de trente années. J’ai même été confronté à une législation très stricte à Paris, en ouvrant un studio de tatouage aux portes du Marais, dans un quartier aux bâtiments aussi farouchement protégés que celui de l’Hôtel de Ville. Mais – triste paradoxe – jamais je n’avais essuyé autant de difficultés que pour notre modeste café-concert chaudesaiguois.