Et voilà, ça devait arriver un jour : j'ai eu 50 ans. Je me suis réveillé ce matin du lundi 9 avril 2018 en boxant dans la catégorie qu’on appelle les "quinquas". 50 balais : un chiffre tout beau, tout rond, et une double occasion : celle de fêter mon premier demi-siècle dans un village que j’aime entouré des miens, et de tirer un bilan sur les cinq décennies écoulées.
Je ne sais pas si c’est la mémoire qui flanche du fait de mon grand âge ou mon goût historique pour le décousu et le foutraque, mais le fil de ma vie me revient par morceaux séparés, par fulgurances et souvenirs éparses plutôt que dans un ordre parfaitement linéaire.
La première chose à laquelle je pense, par exemple, ce sont mes 18 ans. C’est l’âge où j’ai commencé à la fois carrière et famille – et suis devenu simultanément tatoueur et papa.
Tatoueur, comme Bruno de Pigalle, que je lorgnais du coin de l’œil lorsqu’il piquait entre les 9ème et 18ème arrondissements.
Ces heures étaient celles du fantasme et de l’évasion : passer de la banlieue à la capitale, et donner dans le profondément subversif en encrant des peaux.
Ce rêve de titi parisien tatoueur, je le réaliserai plusieurs années plus tard en ouvrant, dans le Marais, le studio de tatouage La Bête Humaine.
Avant La Bête Humaine, bien avant même, il y a eu Avignon.
Avant mes 20 ans, j’ouvrai mon premier salon sur la Place Pignotte de la Cité des Papes : j’étais alors le premier tatoueur d’Avignon, et ce modeste coin de rue était le premier studio de tatouage de la ville. C’est ce petit atelier qui allait se muer en Graphicaderme, le collectif auquel j’ai tout donné.
Aujourd’hui, le nom au G majuscule a poussé dans le Vaucluse, dans le Cantal, et s’apprête même à s’inviter sur la mythique Place de l’Horloge d’Avignon…
En 50 ans, j’ai voyagé à travers la France, et je continue d’enchaîner les allers-retours entre Avignon et Chaudes-Aigues, les deux villes de cœur dans lesquelles je pique toute l’année. Mais pour moi, les voyages, ce sont aussi les États-Unis, et tout particulièrement Philadelphie, dont l’étymologie grecque renvoie à l’amour fraternel.
En la matière, j’aurai trouvé de l’autre côté de l’Atlantique, l’amitié précieuse de Shane O’Neill, Bill Funk et bien d’autres.
Quitter les États-Unis fut une chose ; en ramener un petit morceau avec moi en fut une autre. C’est notamment de cette idée qu’est né le Cantal Ink : l’envie de rameuter la crème du tattoo made in USA – et le gotha de l’encrage européen – dans un petit village de la campagne française.
Et pas n’importe lequel : celui qui a poussé sur la terre de mes ancêtres, lesquels avaient quitté l’Auvergne pour monter travailler en région parisienne, là où je suis né… et dont je suis reparti. Qui a dit que l’Histoire n’avait pas le sens de l’humour ?
Shane O’Neill, Nikko Hurtado, Joe Capobianco : ils m’ont suivi dès la première édition du Festival International du Tatouage, événement qui a marqué mon retour dans l’univers des conventions de tattoo. En 1999, j’avais participé au développement du Salon du Tatouage à Paris Austerlitz en qualité de consultant. Il aura fallu 14 ans pour que je rempile.
Cinq années plus tard, cinq éditions plus tard, le Cantal Ink a contribué au rayonnement médiatique du bourg, connu désormais pour autre chose que sa précieuse source d’eau bouillante. Plus encore : le festival a exercé un impact économique significatif sur le village en amenant en son sein, entre 10 000 et 14 000 curieux selon les étés.
Aujourd’hui, les compétences que j’ai acquises à mettre sur pied, entouré des miens, un événement tel, a servi et continue de servir. En 2014, j’intervenais comme consultant pour la première édition du Cézanne Tattoo Ink ; en 2016, j’apportais mon soutien à mon ami Kalil Moktar pour l’organisation du Corsair Tattoo Ink, convention de tattoo à Saint-Malo.
Si, pour des raisons logistiques et un manque de soutien financier, la perspective d’organiser un 6ème Cantal Ink à l’été 2018 s’est estompée, qu’on ne s’y trompe pas : nous donnons tout pour que le Festival du Tatouage revienne plus fort et plus fou que jamais en terrain caldaguès.
Car ce village, Chaudes-Aigues, je l’ai dans la peau. C’est de lui dont vient mon nom, c’est en lui qu’ont grandi mes ancêtres et de lui dont ils sont partis, c’est ce bourg si attachant que j’essaye, à mon échelle, au quotidien, de faire connaitre et de dynamiser.
À moyen terme, nous y ouvrirons un restaurant, une salle de sports, et y recruterons un nouveau tatoueur. C’est ce village qui m’a également inspiré le Chaudesaigues Award. Récompenser l’un des meilleurs tatoueurs au monde, voire le meilleur tatoueur du monde non pas pour un seul tattoo mais bien pour l’ensemble de sa carrière : c’est le projet que s’est fixé ce concours.
Il aura consacré le talent de James Kern, Matteo Pasqualin et Joshua Carlton.
Enfin, mon investissement sans limite dans le tattoo m’aura amené à créer Tatouage & Partage, association ambitionnant tout à la fois d’obtenir un véritable statut pour tous les tatoueurs de France, d’organiser des séminaires de tattoo menés par des artistes internationaux, et de lutter contre les menaces pesant sur le tatouage. Initiatives contre l’interdiction des encres couleurs, définition d’une formation diplômante pour accéder à la pratique du tatouage : depuis la création de l’organisation, des progrès ont été faits et des actions de taille ont été menées.
Mais la route est encore longue – et cette route, je compte bien l’emprunter.
Aujourd’hui, à 50 ans, je suis fier et heureux d’être entouré de mon épouse, Cécile, et de mes 7 enfants, Steven, Wesley, Shirley, Céline, Tamara, Enora et Louison. Le samedi 14 avril 2018, j’organiserai une cousinade au Coin d’Aubrac à Chaudes-Aigues avec boissons, gâteaux et concerts, à laquelle vous êtes toutes et tous conviés.