Invité du Cantal Ink 2017, le premier tatoueur de France Bruno de Pigalle a signé quelques lignes pour le programme de notre événement – les voici.
Désigner en français "convention" ou "mondial" des réunions de tatoueurs est tout à fait inapproprié et aussi godiche que seraient "concert de tatouage" ou "récital du poids-lourd". Ce qui s’entend par covenant syndicaliste, pour "conventions collectives" ou "mondial de la bagnole", dénote d’un déraillement pour désigner une manifestation de talents.
Cécile et Stéphane Chaudesaigues ont, à bon escient, opté pour " festival du tatouage". Leurs "Cantal Ink", par leur localisation, les festivités champêtres et la qualité des œuvres présentées, s’inscrivent parfaitement dans les notions artistiques et innovantes des œuvres de l’esprit. À l’égal de ce qu’on attend d’un "festival" de musique ou d’une "biennale" du cinéma.
Ce rappel au bon usage de notre vocabulaire n’est pas ici pour flatter ou condamner quelque égo. Stéphane et son épouse n’en ont pas besoin. Par leur simplicité, leur assiduité et leur travail, ils ont bâti leur complémentarité et un talent à la mesure du respect et de la considération que leur manifeste la profession aujourd’hui. Votre intérêt pour ce "Cantal Ink 2017" en atteste.
L’ouvrage en rédaction sur la transition du tatouage contemporain montre les dérives et les dégâts du terme "tatouage" sur l’opinion publique en France depuis sa parution dans le dictionnaire du belge De Nisten en 1810. Dérivé de "tattooing" en anglais, en provenance de "tattoo" à Tahiti. Générique galvaudé, il perd rapidement le caractère sacramentel qu’il entendait à Tahiti au 18ème siècle dans "ta atoua" ou "image d’Atoua" (de divinité). Ses origines polynésiennes traitées dans mon précédent essai, Tatoués, qui êtes-vous ? paru en 1973, seront rappelées. Le "moko" de Nouvelle-Zélande, le "tiki" marquisan, les "patutiki" et "tamoko" propres à chaque île, sont présentés dans Te Patutili, remarquable ouvrage de notre confrère, Teiki Huukena.
Si une langue ne vit qu’en raison de l’évolution de ses termes, la poussière du temps aidant, ce terme "tatouage" devenu un SDF ne désigne plus spécifiquement "empreinte cutanée", mais, tel un suppositoire égaré, spoutnik de l’extrême, aux vents mauvais on ignore sa destination.
Ainsi se substitue-t-il, en termes d’assurance automobile, au "gravage" d’immatriculation des vitres de voitures, dans le code des douanes pour l’identification des mobiliers nationaux ou, à ma grande surprise, récemment, pour reconnaître à la cicatrice du BCG, d’être "premier tatouage de la vie" !
Par la diversité de nos clientèles, les communions de nos offices et les échanges favorisés par le Cantal Ink, nous avons la chance de nous épanouir dans un pays libre, sans formalités et contraintes excessives sinon celles de l’impôt et de l’absolu respect du client. Afin que ça dure, veillons, par nos comportements civilisés dans la vie et nos studios, à ne pas prêter le flanc du tatoueur à la critique et réactiver l’opinion publique négative pour nos clients.
Avec mes compliments et souhaits de bon festival à tous.
Bruno Cuzzicoli
Photos : Thierry Marsilhac