Chaudes-Aigues était la première ville au monde avec un système de chauffage par géothermie !
Calentes-Aquae
« D’azur à la montagne d’or d’où s’échappent trois fumerolles d’argent, mouvant d’un bouillon d’eau fumante d’argent, surmontée de deux fleurs de lys d’or rangées en chef. » Voilà comment se dessine l’énigmatique blason de la ville de Chaudes-Aigues, réputée au-delà des frontières cantaliennes pour ses eaux chaudes aux propriétés miraculeuses qui jaillissent des entrailles de cette terre volcanique.
Texte & photos Julia Laffaille
Nous sommes prévenus. Le large panneau émaillé, joliment désuet, à l’entrée de la ville indique : « Les eaux les plus chaudes d’Europe ». Les voitures ne s’entassent pourtant pas à l’entrée de la ville de 850 habitants. Nous sommes loin des arrivages massifs de touristes que peuvent compter quelques villes thermales voisines. Tout ici semble sortir d’un roman au décor rétro, d’une époque touristique presque révolue qui a endormi peu à peu la vie dans cette vallée. Et pourtant, Chaudes-Aigues nous interpelle. Justement car elle semble différente de ses concurrentes, dont elle se démarque par son cadre fabuleux, mais aussi parce que ses eaux ardentes sont uniques.
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Et l’eau chaude créa l’Homme.
Il est toujours agréable d’apprivoiser un nouveau lieu en se rapprochant peu à peu, appréciant d’abord plus largement ses environs tranquilles avant de se rapprocher, curieux, au creux de ses ruelles. Alors nous grimpons sur les hauteurs du village, contemplant la vallée du Remontalou. La situation géographique de Chaudes-Aigues est particulière : rigoureusement enclavée, installée à 750 m d’altitude et enserrée par la Truyère au nord et les territoires arides du Parc naturel régional de l’Aubrac, la ville a dû apprendre à vivre par elle-même, et ce depuis l’Antiquité. Tandis que les coteaux alentours étaient pâturés par des centaines de brebis (les forêts ont aujourd’hui largement repris leur place), le village avait le privilège de fonctionner en totale autonomie grâce à l’importante présence de l’eau et notamment des sources d’eau chaudes. En effet, pas moins de 32 sources d’eau chaude jaillissent ça et là à Chaudes-Aigues ! Où que nos yeux se posent, on observe des fontaines (une par quartier), des lavoirs, un ruisseau, et même des volutes de fumée qui se dessinent dans le cœur historique.
L’homme a évidemment su tirer parti de ces sources d’eau chaude, véritable trésor aux propriétés thérapeutiques. Déjà sous l’empire romain, Chaudes-Aigues était une ville thermale avant d’être la première ville au monde à mettre au point un système de chauffage par géothermie en 1332 ! Dans un parchemin de cette époque, on peut lire : « Pour l’eau chaude prise dans la rue, entre la maison d’Andrieu Brugier et celle de R. Mercier, et pour la conduite, doit 5 sous. »
L’eau chaude passant naturellement sous les maisons servait à réchauffer les sous-sols (seules une poignée de maisons est encore chauffée de la sorte aujourd’hui), mais pas que. Le lavoir public, le seul lavoir à eau chaude de France (60°C !), sert à tous les habitants.
Les moulins à foulons permettent de dégraisser la laine des moutons, tandis que les sources les plus chaudes servent à cuire des œufs ou parer (épiler) les cochons. C’est cette dernière activité qui donna le nom à la plus célèbre des sources de Chaudes-Aigues : la source du Par, bénéficiant d’une eau à 82°C au débit et à la température constante depuis des siècles ! Dans ce quartier historique du Par (où est installé le musée Geothermia), un microclimat semble planer entre les anciennes maisons de pierres. La chaleur qui émane de la source du même nom fait profiter aux plantes qui se plaisent à pousser abondamment sur les façades. Été comme hiver, des volutes de fumée s’échappent de la fontaine et de la conduite d’eau chaude qui traverse la place du village. Un véritable décor de film.
Des abysses au village.
Pour comprendre d’où vient cette eau chaude, il faut alors remonter à plus d’un kilomètre au-dessus du niveau de la mer. C’est sur le plateau de la Margeride qui surplombe Chaudes-Aigues que l’eau circule dans des failles et descend très profondément (à plus de 5 km), au point de se réchauffer et de gagner environ 30 degrés par kilomètre grâce à la radioactivité des roches. Cette eau va ensuite remonter à l’aplomb de Chaudes-Aigues par des fractures verticales, se chargeant de gaz carbonique, lui-même remontant de la croûte terrestre. L’eau mélangée au gaz devient alors acide, attaquant la roche et créant ainsi les sels minéraux dont elle s’enrichit (notamment du bicarbonate de soude, adoré des lavandières de l’époque car blanchisseur naturel de linge). L’eau minérale qui en découle, essentiellement composée de carbonate de calcium, de silice, de fer et de bicarbonate de soude, est en quelque sorte une infusion de granite reconnue pour ses vertus thérapeutiques et curatives (en particulier pour les rhumatismes).
Nous parvenons jusqu’à la façade remarquable du café Costerosse. C’est entre ses murs peints de fresques grandioses que nous accueille Jean-Claude Puechmaille, auvergnat d’origine, revenu au pays après une carrière de restaurateur à Paris. C’est en 1982 que Jean-Claude et sa femme Marinette rachètent ce café historique, le même qui a vu naître Marinette lorsque ses parents (la famille Costerosse) tenaient alors la boutique depuis 1920. « Les cafés ont toujours existé, ils étaient des lieux de vie importants », me raconte Jean-Claude tandis qu’il expose quelques bouteilles aux étiquettes d’un autre temps. Datant de 1860 et restauré il y a une quinzaine d’années, ce café, bijou historique qui nous plonge à l’époque de Gatsby, est désormais ouvert lors des Journées du Patrimoine.
Aujourd’hui, même si le potentiel extraordinaire de l’eau chaude naturelle n’est pas exploité à sa juste mesure (la géothermie ne représente que 2 % de la contribution totale dans la production de chaleur en France), Chaudes-Aigues a su utiliser intelligemment cette richesse géologique.
Le centre thermal Caleden offre à ses curistes les bienfaits des eaux, tandis que l’église du village et la piscine municipale sont chauffées par géothermie. Le tourisme coule des jours heureux et quelques visionnaires ont vite compris l’attrait de cette ville, comme le regretté Serge Vieira qui installa son établissement bistronomique « Sodade » sur les rives du Remontalou ainsi que son restaurant doublement étoilé au sein du château de Couffour. De là-haut, on devine presque la vapeur réconfortante de la source du Par qui part se mélanger aux nuages.