Figure historique du tattoo en France, premier homme à avoir officiellement tatoué sur le sol français, Bruno de Pigalle s’est plongé dans Le Guide du Tatouage édité par Diverti Store. Si le patriarche de l’encrage en Hexagone retient la qualité de l’ouvrage, il n’en adresse pas moins des critiques quant aux libertés historiques prises par ses auteurs. Voici, dans son intégralité, la lettre qu’il a écrite à la maison d’édition.
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Madame, Monsieur.
J’ai lu avec intérêt votre Guide du Tatouage, paru en juin dernier. Sa conception bien structurée et richement illustrée justifie les félicitations que je vous adresse et qui m’invitent à noter vos coordonnées pour mes prochaines éditions. Mais pas pour la chronologie et la véracité des faits qui, ici, tronqués ou mensongers, aliènent la substance de l’ouvrage et nuisent aux prestiges et intérêts des tatoueurs professionnels régulièrement installés en France avant 1980.
En l’absence de signataire des textes des pages 43 et 44, retenues pour l’exemple, la centaine de tatoueurs installés en France en 1980 sont dits "bikers" et qualifiés "marginaux", en clair "d’asociaux" officiant en "shops discrets", soit dans la promiscuité douteuse et en quête de statut. Cette présentation reflet de médiocrité et l’orientation partisane qui s’en dégage désignent la provenance de cette logorrhée. Ce qui appelle quelques rétablissements : à savoir qu’avant 1981, les tatoueurs pouvaient choisir de se déclarer artiste ou artisan et bénéficier ou non d’une paix fiscale. Avec l’arrivée du jeune Cyril Auville, dit " Tin-Tin et Mildiou qui pourrit tout" selon l’adage paysan ou " Tin-Tin et Milou qui bave partout" selon d’autres, la bêtise et la TVA s’imposent. Et adieu la confraternité.
Les "marginaux" n’avaient heureusement pas attendu l’apprenti de Marcel pour installer de modernes et coquets studios, aux normes AFSSAPS avant la lettre ; avec laboratoire, zone blanche pour la stérilisation, cabines climatisées et ouverture de la rubrique professionnelle dans les pages jaunes. Le premier de ces studios, ouvert à Pigalle en 1962 et le second de 92m2, en 1973, ne cadrent absolument pas avec ce qui est écrit.
À l’abordage de ce grand public dont il est question dans votre texte, les "marginaux" se sont faits conférenciers en comités d’entreprises, dans des lycées et démonstrateurs en hôpitaux ou cliniques à la recherche de solutions pour les restructurations des accidentés du visage, des malformations génétiques, d’activation de greffes synthétiques ou les grands brûlés.
En 1974, 20 000 exemplaires d’un ouvrage sur le tatouage à compte d’auteur ont pris le relais de la "comm’ grand public". Sur les années suivantes, une vingtaine de consœurs et de confrères, dont Stéphane Chaudesaigues, tous bien éduqués et d’allure autre que celle citée, ont participé aux premiers grands salons parisiens du tatouage et de l’esthétique à Bercy, Champeret ou encore Aquaboulevard, sans autre bénéfice que la promotion de nos métiers en vue d’en vivre et de restituer aux gens tatoués le droit d’afficher leur esthétique.
Des incohérences multiples attestent du psittacisme de vos auteurs. En éludant par exemple Georges Burchette, notre ancien et vénérable confrère de Londres au début du 20ème siècle, pour citer mon contemporain et copain Jerry d’Hawaï, "on est mal" ; ou en référant le dépositaire du brevet américain plutôt qu’Ampère, Arago et Edison, les inventeurs du système en 1822, "on n’est pas mieux" ; ou enfin ignorer que "tattooing et dermographe" conduisent à des marques déposées françaises qui pourraient causer problèmes, "on n’est dans la merde !". Rappelez à vos documentalistes le conseil de Coluche : "Quand on ne sait pas, on ferme sa…" Vous savez quoi.
Pour les qualités et la réputation de vos parutions, au demeurant agréables, et les informations sérieuses que les jeunes pourront y puiser, ce saucissonnage d’âne pur porc doit être corrigé. Sans erratum, ces sornettes truffées d’inexactitudes seront propagées. Naturellement, les confrères et moi-même vous assisterons avec bienveillance.
Madame, Monsieur, merci par votre réaction rapide de me faire connaître votre position. Vous pouvez croire en mes salutations respectueuses,